La franchise de l’article 11 alinéa 1 lettre c) LPC peut être déduite du revenu de la famille nucléaire et non pas seulement du revenu de l’ayant droit.

Résumé
Dame A a droit à des prestations complémentaires (ci-après PC) et bénéficie d’une rente pour enfant de l’assurance-invalidité (ci-après AI). Elle ne réalise aucun revenu et il est admis qu’elle n’est pas en mesure de le faire. Sa fille, Dame B, est apprentie et vit en communauté domestique avec sa mère.

A teneur de la loi sur les prestations complémentaires (ci-après LPC), il faut établir les « revenus déterminants » de l’ayant-droit (en l’espèce Dame A) pour calculer le montant de la PC qui lui est due.  Ainsi, selon l’article 11 alinéa 1 lettre a) LPC , le  « revenu déterminant » d’une personne qui a un enfant donnant droit à une rente pour enfant de l’AI est celui qui dépasse 1’500 fr. (c’est-à-dire la franchise) ; la loi ajoute que seuls les deux tiers de cette somme sont considérés comme « revenu déterminant ».

Dans le cas soumis à l’appréciation du Tribunal fédéral (ci-après TF), la caisse de compensation du canton du Tessin (ci-après la Caisse) avait déduit la franchise de 1’500 fr. du revenu inexistant de Dame A. Or, selon Dame A, il aurait fallu ajouter le revenu d’apprentie de sa fille au sien propre (inexistant), en déduire la franchise de 1’500 fr. et n’en retenir que les deux tiers pour calculer son droit à la PC. L’Office fédéral des assurances sociales (ci-après OFAS) soutenait la position de la Caisse selon laquelle la franchise s’appliquerait au seul revenu de l’ayant-droit (soit Dame A) et non à celui de la famille nucléaire (soit Dame A et Dame B).

Le TF devait décider si, pour établir le revenu déterminant de Dame A, il fallait déduire la franchise de 1’500 fr. de son revenu -nul-, ou si on pouvait la déduire du revenu net de Dame B, considéré comme revenu de la famille nucléaire. Il est arrivé à la conclusion que le revenu net du travail d’apprentie de Dame B devait être réduit de 1’500 fr. et pris en compte dans le revenu déterminant de sa mère. Pour juger que l’article 11 alinéa 1 lettre a) LPC se réfère revenu de la famille nucléaire et non pas au seul revenu de l’ayant-droit, le TF s’est livré à une interprétation historique, téléologique* et systématique de cette disposition.

Dans cet arrêt le TF constate d’abord que le texte de l’article 11 alinéa 1 lettre a) première phrase LPC ne précise pas si la franchise de 1’500 fr. s’applique uniquement au revenu de l’ayant-droit ou à celui de la famille nucléaire. Pour comprendre ce silence il relève que l’origine de la franchise était d’inciter les bénéficiaires et leur famille à conserver une activité lucrative, c’est-à-dire de favoriser tous les éléments de revenus : l’intention du législateur est bien d’encourager les bénéficiaires à exercer une activité lucrative sans subir une diminution du montant de la PC correspondant à leur revenu. Le TF expose encore que, déjà en 1964, le Message du Conseil fédéral manifestait une volonté d’éviter que la perception de PC ne paralyse l’exercice d’une modeste activité lucrative. A cela s’ajoute l’avis de la doctrine selon lequel le but de la franchise est de procurer un avantage socialement justifié. Sur ces bases le TF désavoue tant la Caisse que l’OFAS et donne raison à Dame A.

Dans la foulée le TF indique que la Directive sur les prestations complémentaires (ci-après DPC) appliquée par la Caisse dans sa version en vigueur au 1er janvier 2021 était contraire à l’article 11 alinéa 1 lettre a) LPC (pour information les différentes versions des DPC se trouvent ici).

* interprétation d’une norme selon ses objectifs, sa finalité

Commentaire
La complexité des calculs du droit aux PC est désespérante. Elle en fait perdre aux caisses de compensation le sens de leur mission ainsi que des buts sociaux de la loi. Il est préoccupant de constater que des interprétations contraires à l’esprit de la loi se cristallisent dans les DPC émises par l’OFAS en vue d’assurer une application uniforme de la loi sur tout le territoire de la Confédération.

Référence
9C_223/2022  du 15 juin 2023, en italien (destiné à publication) publié à la RMA 5/2023 RJ 132-23